Le ministère malagasy de l’Environnement et du Développement durable rappelle l’importance stratégique de ce rendez-vous mondial. « La COP30 constitue un moment crucial pour renforcer la coopération entre les nations dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris et pour relier la lutte contre le changement climatique aux réalités quotidiennes des populations », souligne le ministère.
Selon Climate Risk Index 2024, Madagascar figure parmi les dix pays les plus vulnérables aux catastrophes climatiques. Cette position se traduit chaque année par des pertes humaines et économiques considérables. Depuis la COP21 à Paris, le pays s’est doté d’une Contribution déterminée au niveau national (CDN), fixant ses objectifs de réduction des émissions et d’adaptation. Il s’est engagé à réduire ses émissions de 14% d’ici 2030, voire 32% si les financements internationaux suivent.
Mais les résultats sont loin des ambitions. Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 11% entre 2015 et 2022, selon le Global Carbon Atlas. Le programme de reboisement, qui devait couvrir 40 000 hectares par an, n’a jamais dépassé une moyenne de 18 000 hectares entre 2017 et 2022. Et l’accès à l’énergie renouvelable, censé concerner 70% de la population d’ici 2030, reste limité : en 2023, seuls 16% des Malagasy en bénéficiaient. Quant aux financements climatiques, ils demeurent dérisoires : moins de 20 millions de dollars par an, alors que les besoins dépassent les 500 millions nécessaires pour répondre aux urgences et atteindre les engagements annoncés.
Entre adaptation vitale et diplomatie d’urgence
Madagascar, aux côtés des 196 autres Etats membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), participe activement aux discussions et négociations prévues jusqu’au 21 novembre. La délégation malagasy prend part à plusieurs sessions de travail, tables rondes et dialogues de haut niveau, avec pour objectif de défendre les priorités nationales et d’obtenir un meilleur accès aux financements destinés à l’adaptation et la résilience.
Le ministère insiste sur le fait que la protection et la restauration des forêts figurent parmi les thèmes majeurs de cette conférence, symbole fort pour la Grande île, dont la biodiversité exceptionnelle est menacée par la déforestation, la sécheresse et la dégradation des sols. Ces enjeux, souligne encore le ministère de tutelle, ne concernent pas seulement la conservation de la nature, mais aussi la sécurité alimentaire, la gestion de l’eau, la stabilité économique et le bien-être social des populations malagasy.
« Notre participation à Belém vise à faire entendre la voix des nations vulnérables, à valoriser nos initiatives locales et montrer que la lutte contre le changement climatique passe par une approche intégrée, reliant environnement, développement et justice sociale », note le ministère.
A Belém, la délégation malagasy plaide donc pour un accès plus simple aux financements climatiques, notamment via le Fonds vert pour le climat. Trois priorités guident son plaidoyer : l’adaptation communautaire, la reforestation intelligente et la reconnaissance des pertes et dommages.
Dans le Sud, l’adaptation est une question de survie. A Ambovombe, les pluies se font rares : à peine 120 millimètres en 2024, contre une moyenne historique de 450. Les récoltes de manioc et de maïs ont été décimées. « On nous parle de COP, mais ici, on attend toujours les citernes d’eau », témoigne Mamy, cultivateur à Tsihombe. Les ONG locales, telles que SAF/FJKM ou le CITE, dénoncent un fossé croissant entre les discours internationaux et la réalité du terrain. Les fonds arrivent au compte-gouttes, freinés par des procédures complexes et des critères d’éligibilité déconnectés des réalités rurales.
La reforestation intelligente, deuxième pilier du plaidoyer malagasy, vise à dépasser les campagnes symboliques de plantation. L’objectif : associer des espèces locales, des approches agroforestières et un suivi durable. Mais sur le terrain, la promesse s’enlise.
Le reboisement sans résultats
Le fossé entre les ambitions et les résultats du reboisement s’explique par une combinaison de facteurs structurels et sociaux. La dépendance massive à la biomasse constitue l’un des principaux freins : près de neuf Malagasy sur dix utilisent encore le bois ou le charbon pour cuisiner, exerçant une pression constante sur les forêts. Tant que des alternatives énergétiques abordables ne seront pas accessibles, chaque arbre planté risque de finir en combustible.
A cela s’ajoute le manque de suivi et d’entretien. Beaucoup de campagnes se limitent à la photo inaugurale : on plante, on communique, puis on abandonne. Sans arrosage, sans protection contre les feux de brousse, la majorité des jeunes plants disparaît dès la première saison sèche.
Le choix des essences aggrave encore la situation. Par souci de rendement, on privilégie des espèces importées comme l’eucalyptus, qui poussent vite mais épuisent les sols et abritent peu de biodiversité. Ces plantations industrielles n’ont rien de commun avec une forêt naturelle.
La déforestation, elle, continue de gagner du terrain. L’agriculture sur brûlis, l’exploitation minière artisanale et la pauvreté rurale détruisent chaque année plus de forêts que les programmes ne peuvent en replanter. Dans les zones rurales, les forêts restent le dernier recours : elles fournissent l’énergie, le revenu et les terres cultivables des plus pauvres.
S’ajoute un déficit d’appropriation locale. Trop souvent, les projets de reboisement sont conçus depuis les bureaux des bailleurs, sans réelle concertation avec les communautés. Or, lorsqu’elles ne tirent aucun bénéfice concret de ces plantations, les populations n’y voient pas leur intérêt. Là où les habitants ne se sentent pas impliqués, les arbres deviennent étrangers à leur quotidien.
Planter ne suffit donc pas. Pour espérer inverser la tendance, Madagascar doit créer un environnement économique et social favorable : promouvoir les énergies de substitution, associer les villages au processus, diversifier les essences et assurer un suivi sur plusieurs années. Sans cela, les campagnes resteront des gestes symboliques, aussi fragiles que les jeunes pousses qu’elles prétendent sauver.
Leçons d’ailleurs : l’Afrique qui pousse
Pendant que Madagascar peine à faire pousser ses forêts, d’autres pays africains avancent. Le Rwanda, par exemple, a fait du reboisement une priorité nationale, soutenue par une gouvernance locale efficace. Chaque année, la « Journée nationale de l’arbre » mobilise les communautés, les écoles et les institutions publiques. Résultat : le pays a reconstitué près d’un tiers de son couvert forestier en vingt ans, grâce à une combinaison d’incitations communautaires et de suivi numérique.
Le Kenya s’est aussi imposé comme modèle régional. En 2023, Nairobi a lancé une campagne de quinze milliards d’arbres d’ici 2032, intégrée à sa politique d’énergie verte. L’initiative repose sur la mobilisation citoyenne, l’implication des jeunes et l’usage d’outils de cartographie pour suivre la croissance des plants. La clé du succès réside dans la continuité politique et la transparence : les budgets sont suivis, les résultats publiés, et les communautés bénéficient directement des retombées économiques du reboisement.
Même le Sénégal, confronté à une désertification rapide, a réussi à stabiliser certaines zones grâce à l’agroforesterie, en associant arbres et cultures vivrières. Ces modèles montrent que la clé n’est pas seulement de planter, mais d’intégrer la forêt dans la vie économique et sociale des habitants.
A Madagascar, ces exemples inspirent, mais peinent à s’ancrer. L’absence de coordination entre les ministères, les ONG et les collectivités locales empêche une vision d’ensemble. L’île possède pourtant des atouts : une biodiversité unique au monde, des sols fertiles et un savoir-faire communautaire encore vivant. Mais faute d’un cadre stable et d’une stratégie claire, ces atouts se diluent dans l’urgence.
Une diplomatie climatique à reconstruire
Sur la scène internationale, la voix de Madagascar reste fragile. Le pays n’a pas mis à jour sa CDN depuis 2021, contrairement au Rwanda, Sénégal ou au Kenya, ce qui affaiblit sa position. Pourtant, selon la Banque mondiale, un meilleur accès aux financements climatiques pourrait mobiliser jusqu’à un milliard de dollars sur cinq ans. Ces ressources permettraient de construire des infrastructures résilientes, d’étendre l’accès à l’énergie solaire, de soutenir la transition agroécologique et de créer des milliers d’emplois verts dans le reboisement et la gestion durable des ressources.
A l’inverse, selon le FMI, l’inaction coûterait 4% du PIB par an d’ici 2030. Un poids énorme pour une économie fragile, qui se traduirait par des pertes humaines, des migrations internes et une pression accrue sur les finances publiques.
La COP30, pour Madagascar, n’est donc pas qu’un rendez-vous diplomatique : c’est une conférence de vérité. Elle offre une tribune, mais exige une stratégie. Pour peser dans les débats, le pays doit parler d’une seule voix, produire des données crédibles et présenter des projets concrets, chiffrés et réalistes. La réussite passera par l’union entre institutions, scientifiques, ONG et communautés locales.
Dans les allées de Belém, les discours s’enchaînent, les promesses se répètent. Mais pour Madagascar, le temps des mots touche à sa fin. Il faut désormais prouver, chiffres à l’appui, que la Grande île peut verdir autrement que sur le papier. Car dans cette lutte mondiale pour la survie climatique, chaque arbre compte et chaque échec se paie cash.
Remarque : les campagnes massives de plantation donnent souvent des chiffres « plantés » (semis ou plants mis en terre) mais la mesure essentielle — et souvent manquante — est le taux de survie et la qualité écologique (espèces utilisées, diversité, restauration d’écosystèmes).
Points à retenir
. Madagascar a connu une perte nette importante de couverture arborée : Global Forest Watch signale une perte cumulée d’environ 5,2 Mha de 2001 à 2024, soulignant le large déséquilibre entre déforestation et restauration.
. Madagascar a pris un engagement AFR100 ambitieux visant à restaurer 4 millions d’ha d’ici 2030, mais la mise en œuvre nationale (systèmes d’information, projets pilotes) reste insuffisante face aux pertes.
Le Kenya a lancé l’objectif de 15 milliards d’arbres d’ici 2032 et mobilise des moyens publics et citoyens importants, mais la cadence et la survie sont des défis opérationnels.
En Ethiopie, les campagnes massives ont permis de planter des milliards de plants, mais des études récentes montrent des taux de survie faibles (moyennes districtuelles proches de 40% ou moins), ce qui interroge la durabilité nette des gains.
Les réussites constatées (ex. Rwanda, certaines initiatives communautaires au Kenya) sont généralement liées à l’appropriation locale, au suivi technique et à l’intégration économique (agroforesterie, emplois locaux), plutôt qu’à la simple mise en terre de plants.
REBOISEMENT ET REFORESTATION
Madagascar s’est engagé à restaurer 4 millions d’hectares de paysages forestiers d’ici 2030 dans le cadre de l’initiative AFR100 (African Forest Landscape Restoration Initiative).
Le pays est marqué par un taux de déforestation élevé : plus de 53% de la couverture forestière d’origine aurait été perdue depuis 1953.
Les zones principales d’engagement de restauration incluent les bassins versants du Mangoky, avec des projets spécifiques approuvés pour 2022-2027.
Principaux projets, zones géographiques et résultats
Projet « Mangoky sub-watersheds »
Le projet intitulé « Biodiversity Conservation, Restoration and Integrated Sustainable Development of Mangoky sub-watersheds » (2022-2027) couvre plusieurs paysages dans le sud-ouest de Madagascar. Budget d’environ USD 7,334,246. Objectifs : améliorer les services écosystémiques, intensifier durablement l’agriculture et restaurer les forêts dégradées.
Dans ce cadre, les résultats attendus à moyen terme comprennent : 58 740 hectares de paysages sous pratiques améliorées, 2 100 hectares de terres restaurées, et environ 3.573, 968 tonnes de CO₂ réduites d’ici 2042.
Projet « Satrokala ARR »
Le projet privé-communautaire « Satrokala ARR » dans la région d’Andiolava/Ambatolahy cible la restauration de forêts sèches dégradées. Déjà plus de 6 000 hectares de restauration visés, plus de 3 000 hectares cultivés (4 000 déjà en production selon le site). Plus de 3 millions d’arbres plantés.
Le choix d’espèces locales et l’implication communautaire sont mis en avant comme facteurs de pérennité.
Projet « Moramanga nursery »
L’association Madagasikara Voakajy, basée dans le District de Moramanga, gère des pépinières : cinq établissements produisant chacun environ 15 000 plants/an d’espèces indigènes et fruitières. En 2023, 24 000 plants ont été replantés sur une surface de 13 hectares avec un taux de survie de 72%.
Projet « Ankarafantsika Reforestation »
Dans le parc national d’Ankarafantsika (forêt sèche), un projet de restauration est en cours sur 7 188 hectares. Des espèces natives sont plantées pour reconnecter des zones dégradées, créer des emplois et restaurer les habitats.
Résultats et contrastes
Malgré les engagements ambitieux, les résultats à grande échelle restent limités. Par exemple, la campagne nationale de plantation de « 75 000 hectares » en 2023 est citée, mais le suivi sur survie et qualité reste flou.
Certains acteurs locaux rapportent de bons taux de survie comme les 72% à Moramanga sur 13 ha.
Cependant, un bilan global indique que le pays perd encore chaque année des milliers voire des dizaines de milliers d’hectares de forêts naturelles : par exemple, 80 000 hectares de forêts naturelles auraient été perdus en 2023.
De nombreux projets de restauration restent pilotés à petite échelle, focalisés sur des zones précises, avec un personnel local engagé et un suivi plus serré. Les projets plus vastes souffrent d’un manque de données sur la pérennité et la qualité écologique.
Les zones ciblées varient : forêts sèches, littorales, zones humides, bassins versants. Cette diversité est un atout mais rend aussi la gestion plus complexe, car chaque contexte nécessite des espèces et des méthodes spécifiques. (Voir étude sur les défis éco-évolutionnaires de Madagascar).
Enjeux et facteurs de succès/risques
L’implication communautaire et locale apparaît comme un facteur déterminant de succès : pépinières gérées par les villageois, emplois liés à la restauration, choix d’espèces endémiques. Ex : Satrokala, Moramanga.
Le suivi à long terme (survie des plants, croissance, biodiversité) est encore trop rare dans les grands programmes. Un objectif est de passer de « planter des arbres » à « faire pousser une forêt ».
Le choix des espèces est crucial : les plantations d’arbres rapides (souvent exotiques) sont moins bénéfiques pour la biodiversité, les sols et la résilience. Madagascar, avec sa forte endémicité, rend ce choix encore plus important.
Les pressions de fond (déforestation, agriculture sur brûlis, production de charbon de bois, feux de brousse) restent très élevées, ce qui crée une « course » entre perte et restauration.
Les ressources financières, techniques et logistiques restent limitées à l’échelle nationale, ce qui rend difficile l’application uniforme et la montée en volume des projets.
L’accès à des données fiables, à la cartographie, au suivi et au reporting est un défi pour améliorer la transparence et l’efficience des programmes.
En résumé : Madagascar multiplie les engagements et les projets de restauration. Mais l’écart entre ambitions et résultats reste notable. Quelques zones montrent des progrès encourageants, notamment là où les communautés sont fortement impliquées et où la gouvernance locale est solide. Pour que la restauration devienne à l’échelle nationale un vecteur de changement durable, il faudra renforcer le suivi, la qualité écologique, l’échelle des interventions et surtout aligner les plantations avec les besoins des populations locales.








